Analyse de la pratique, psychanalyse et représentations collectives
Par Eric Drutel le mardi 15 mai 2012, - Carnets de route (blog) : - Lien permanent
L'analyse de la pratique en institution exige du psychologue de faire des liens entre les mécanismes psychiques qui agissent l'équipe et les réponses qu'un métier partagé autorise. Il est intéressant de repérer comment le collectif pense les situations vécues, c'est à dire, les représente. Ensuite, d'envisager quelle sont les voies utilisées pour un retour sur le terrain.
Françoise Feder(2006), dans "Traitement institutionnel et processus psychanalytique : le travail du psychanalyste à l'écoute du matériel institutionnel" envisage des éléments de réponse dans le champ psychanalytique par l'étude des contre-transferts . Il ne peut y avoir d'élaboration de groupe sur la dynamique institutionnelle que par des réunions interprétatives ayant pour objet "l'interprétation du transfert verbalisé au patient" expose Feder. Travail de perlarboration qui engage le psychologue tout comme les membre professionnels, il vise à créer de nouvelles modalités d'échanges en tissant des liens entre une situation éprouvée, le passé des relations au patient, ainsi qu'en distinguant les itérations.
Le travailleur social, l'accompagnant joue alors le double rôle d'outil de la pensée et d'agent de développement tout à la fois. Feder(2006), montre que c'est le professionnel engagé dans une élaboration de son contre-transfert qui révèle et renouvelle les conflictualités à l'oeuvre. Ainsi, par des insights il comprend ce qui l'agit et envisage, dans l'espace et le temps de la pensée collective, de nouvelles modalité d'échanges avec le patient.
Ce travail nous invite à renouveler de nombreuses question sur l'analyse de la pratique :
La nécessité de produire des traces de l'activité pour conduire à une analyse des situations de travail? Dans le travail de Feder, l'usage de la vidéo vient à point nommé pour provoquer un choc. Cependant l'usage des outils de captations son ou vidéo pose de vastes question d'énnonciation ( cadrage, langage des images, du montages) et de droit des personnes ( intimité, archivage, discours). La production d'un discours situé peut être provoquée par des consignes du SOSIE (Clot 2008), l'entretien d'expliciation (Vermersh 2006) , les controverses de métier par les outils ou l'activité instrumentée ( Drutel 2008, 2012) permettant de contourner ces impossibilités tout en déclenchant par les échanges dialogiques le développement des locuteurs et du collectif.
Mais ces artifices renouvèlent la question du collectif de travail pour le psychologue : comment pense le groupe? Je pense qu'à travers la question de l'usage de la psychanalyse, c'est bien la question de la représentation sociale qui est posée par Feder qui cherche à identifier des processus à l'oeuvre en faisant l'hypothèse que les conflictualités propres à l'individu se retrouvent dans les conflictualités du collectif ( Dubosq et Clot 2010).
D'autres auteurs nous alertent sur ce phénomène. La lecture des travaux de Jodelet ou Moscovici nous permettent de poser un premier repère. Chaque fois qu'un événement survient, il génère une rupture (de l'ordre des choses) éprouvée par celui qui en fait l'expérience. Pour être communiqué, il faut faire appel au sens : l'éprouvé corporel mais aussi les outils symboliques stabilisés dans une société. Ainsi chaque fois qu'un savoir est généré, il devient une partie de la vie collective (Moscovici 2009). Le collectif dispose alors d'un répertoire d'événement représentés qu'il peut mobiliser en situation de travail (Clot sur le genre). Cela nous permet, avec Dejours d'envisager le rapport collectif au travail sous l'aspect de la ressource et non du manque : l'acte traditionnel efficace.
Mais, nous avons toujours à résoudre la question de comment pense le groupe. On comprend déjà que les connaissances qui entrent dans le domaine commun révèlent une autre structure que la démarche scientifique qui repose sur un système. Il s'agit plutôt de la construction de représentations de la réalité organisée en un réseau cohérent (Moscovici 2009). D'ou l'intérêt de se focaliser sur la communication entre les membres du collectif faisant que quelque chose se travaille pour être transmissible et utilisable. De faire en sorte qu'éprouvés et sentiment convergent vers quelque chose d'individuel qui peut devenir social.
Ce qui devient intéressant pour le psychologue, c'est alors de comprendre comment on fabrique quelque chose de nouveau. Le milieu professionnel est un milieu qui change, dynamique, sans cesse en renouvèlement mais qui ne peut se réaliser sans stabiliser pour un temps des savoirs. C'est la connaissance (ce que l'on retient des savoirs) qui va permettre le travail collaboratif.
Dans le cadre d'une démarche d'analyse de la pratique, n'y a t il pas dans la formulation et le contenu des questions du groupe vers le sujet analysant, à repérer les instruments mobilisés (culture, symbolisation, mémoire, concepts théoriques) pour comprendre d'une manière renouvelée comment l'institution organise sa réalité et offre ou contraint ces usagers, malades et soignants?