L'analyse de la pratique est à la mode, et pour beaucoup de raisons, c'est une bonne chose. A condition de ne pas tomber dans les lieux commun de bonnes pratiques, d'une pensée commune sur le travail instituée, ce qu'Yves Clot appelle la "Ligne Maginot" du travail, il y a beaucoup de bénéfice à construire des lieux de controverse professionnelle.

Une réunion publique à laquelle des collègues et moi avons assisté faisait cette semaine, salle comble. Nous avons apprécié de voir que cette thématique de "la pratique" convoque autant de monde. Mais nous étions interpelé sur le risque que "de pratique" elle devienne "la bonne pratique", dans le sens ou elle se détacherait de l'héritage et du contexte de la production d'un savoir collectif sur le métier.

C'est peut-être, alors, la difficulté d'en faire la démonstration en dehors d'un contexte réel de travail qui nous laissa sur notre faim. En sortant, mes collègues psychologues du travail nous désolions alors de n'avoir pas entendu une parole sur le cadre du métier, les règles de métier, le rapport entre pensée et langage, les cadres théoriques mobilisés. Le risque serait grand que tout se passe comme si l'analyse de la pratique était le nouveau remède miracle, la colle qui ferait tenir la collection d'individus en un collectif de travailleurs. Le management désastreux des 30 dernières années enseignait sur fond de guerre économique, aux salariés à commettre des injustices (Dejours). Charge à eux maintenant, d'intérioriser un monde du travail idéal ou la puissance de l'analyse sauvage fera sauter toutes les résistances. Ne sommes nous pas en train de construire une nouvelle illusion , entretenant encore et toujours ce que Ferenczi appelle "une cécité introspective"?

Ce genre de soirée offre au plus grand nombre de se faire une petite idée de ce qui est mis en chantier dans un tel dispositif mais laisse de nombreuses questions en suspend. Ce matin, je me re-posais la question, répondant dans l'après coup à mon malaise de spectateur : la reformulation est-elle une interprétation? Pourquoi l'animateur s'engage t-il dans cette voie? Quels sont les effets du langage? Quelles sont les "choses" que le groupe construit dans ses tentatives de symbolisations ? Que faire de ces histoires de souffrance partagées? Comment outiller le groupe qui s'engage dans cette voie de l'analyse des pratiques professionnelle?

L'analyse de la pratique est un outil de développement du métier à l'usage du professionnel quand l'articulation entre le lien humain et la technique questionne. Il s'agit pour les éducateurs, formateurs, psychologues, enseignants, tuteurs, médecin d'apprendre à se désempêguer avec l'Autre. Se débrouiller avec ces liens qui nous collent aux pattes tout en se retrouvant entre professionnels dans une représentation du métier qui soit efficace pour le travail. L'analyse de la pratique est aussi une fonction contenante.

Bien sur, l'analyse de la pratique peut s'ouvrir à des métier plus vastes que les métiers du lien à condition de toujours intercaler l'activité entre la personne et le groupe. L'activité c'est le geste le choisi au regard d'un répertoire de possibles que le collectif propose au sujet pour qu'il puisse s'en sortir dans ce qui doit être fait... Ce qui implique un questionnement du groupe au regard de la prise d'informations, une forme de maïeutique.

Del'activité à l'activité réflexive, l'analyse de la pratique peut servir de levier de formation, de montée en compétences, d'analyse des transferts, d'analyse institutionnelle, de régulation d'équipe, d'apprentissage au management... à condition de se poser la question du cadre dans ce qui constitue comme limite et qu'il rend possible.

Deux citations dans les nombreux ouvrages disponibles sur l'app

 Dewey "Aucune pensée, aucune idée ne peut être communiquée en tant qu'idée par une personne à une autre personne. Quand elle est dite, elle est, pour la personne à qui elle est dite, un fait donné comme les autres, non une idée. La communication peut conduire l'autre personne à se poser elle-même la question et à imaginer une idée semblable... C'est seulement lorsqu'elle est aux prises avec les données du problème, en cherchant et en trouvant elle-même le moyen de s'en sortir qu'elle pense" ( 1975 p195).
 Tosquelles "Le travail comporte, d'une part, des types particuliers de coupure, de division, de partage, et de distribution des taches entre des partenaires présents et absents. D'autre part le travail fait surgir des conflits, leur fournit l'occasion d'une manifestation socialisée et exprimable...au dépassement et aux changements de plans où ces conflits peuvent prendre racine et se manifester" Tosquelles cité par Clot 2008.

Enfin, une note de synthèse remarquable sur l'Analyse de la pratique est disponible dans la Revue Française de Pédagogie, n° 138, janvier-février-mars 2002, 135-170 "les pratiques comme objet d'analyse" Marcel, Orly &al