Le sociologue et le magicien
Par Eric Drutel le vendredi 14 juin 2013, - Carnets de route (blog) : - Lien permanent
Depuis les années '20, les modes managériales se succèdent sans tout à fait se recouvrir. Si bien que l'actualité "emploi -management" offre des contrastes parfois assez violent. Des vocables ressurgissent pour être à nouveau confrontés aux impasses de notre quotidien de travail.
-"Ecris quelque chose sur la loyauté dans l'entreprise" me demande ce matin mon épouse.
La loyauté et l'entreprise? En voila bien une étrange idée... Qu'est ce qu'y être loyal? La loyauté est l'expression d'un dévouement envers une cause ou une personne assène le dictionnaire. Mais le dévouement n'est pas un devoir. Cette idée d'un engagement des salariés envers une cause de l'entreprise est bien un fantasme managérial de toute puissante et de simplification qui semble ressurgir tous les 20 ans... Les études du Tavistok Institute, les modèles bi-factionnels, les travaux de Lewin, d'Octave Géliner (morale de l'entreprise et destin de la nation 1965) les fondations Bouygues ou Gates se cassent les dents sur la question de fond, qu'est ce qui motive les salariés? A quelle cause les faire adhérer pour vivre cet éden de la loyauté en entreprise?
Dès le premier chapitre de l'acteur et le système, Crozier et Friedberg posent un constat implacable "Nous vivons généralement avec une image tout à fait fausse de l'action organisée"! ... "L'homme garde toujours un minimum de liberté et qu'il ne peut s'empêcher d'utiliser pour battre le système". Max Weber et son l'autorité-rationnelle légale peut aller se rhabiller. En effet, Le travailleur n'est pas qu'une main (Ford, Taylor), une main et coeur ( le mouvement des relations humaines, Tavistok), mais il est "avant tout une tête, c'est-à-dire, une liberté" ose Crozier. On peut reconnaître à Weber d'avoir l'honnêteté de proposer de lire le capitalisme et la pensée de Benjamin Franklin à la lumière de l'éthique protestante. Ainsi, le système bureaucratique qu'il propose est bien celui de son époque, d'un système de pensée par delà l'individu au service d'une vision du monde. Audiard ne s'y trompe pas : « Dans la vie il y a deux expédients à n’utiliser qu’en dernière instance : le cyanure ou la loyauté. » fait-il dire au Gentleman D'Epsom. Plus près de nous, François Dupuy dans "La fatigue des élites" nous décrit avec précision la mise à mal de cette loyauté des cadres par les concepts de l'économie moderne et la guerre économique... "Continuer à faire croire que les cadres, par ce qu'ils sont cadres, comprennent et défendent naturellement les intérets de l'entreprise, au besoin contre leurs propres intérêts, est au mieux une approximation, au pire une supercherie intellectuelle(p87)" écrit-il. Sainsaulieu(1977) défiche pourtant quelque chose en parlant du système bureaucratique : "Cela ne suffit pas à assurer la stabilité de l’organisation... il faut le charisme d’un chef... et une place assignée à chacun par la tradition du métier".
Le métier, la tradition du métier ! Par ce qu'elle croise deux approches, une qualitative, sur la question prise au sérieux du travail bien fait, l'autre de régulation par l'intérêt pour les controverses collectives et l'acceptation renouvelée du système d'action concret. La question du dévouement , du zèle dans l'entreprise se pose toujours mais en restant du coté de la vie. Voie exigeante qui engage la confiance de part et d'autre de l'organigramme fonctionnel de l'entreprise mais sans angélisme. Il n'y jamais eu d'âge d'or de la contestation ouvrière pas plus que que de martingale gestionnaire. Pour notre part, nous avons toujours le souci de promouvoir la voie du collectif et de l'élaboration sur le métier.
Pourtant la tentation est grande, malgré les millions de mots, de céder à une vision simpliste du travail humain. Dans le point 2111 du 28 février 2013, l'article de Baudouin Eschapasse sur les formations à la magie dans l'entreprise "la magie fait un tour dans l'entreprise"constate que les formations à la magie se portent bien. Il donne l'exemple d'un ancien centralien devenu magicien après un bref parcours d'ingénieur (!) dont la formation "influence et perception" conduit les participants à s'interroger sur les méthodes de l'hypnose ericksonienne. Et B.Eschapasse de conclure son article en parlant des techniques des illusionnistes, de la communication non verbale ou de l'hypnose eriksonienne "Autant d'outils qui confèrent à ceux qui les maîtrisent un atout au sein de l'entreprise".