Chaque bulletin d'information du matin égrène le nombre de mort, les tortures, les familles brisées, les villes éventrées comme, par exemple Homs ou Mazraat. Je ne dois pas être le seul à écouter dans la stupeur les récits des proches ou être confronté aux images de corps mis en pièces (pour ceux qui peuvent comme moi avoir accès aux sources d'images) ou des enfants arrachés aux décombres des immeubles en ruines. Ban Ki-moon (Le Monde 8/6/2012" résume bien la situation : Le peuple syrien saigne. Il est en colère. Il veut la paix et la dignité. Et avant tout, il veut de l'action" car des "terroristes tirent parti du chaos".

Plus que jamais, la tension entre la violence des images et la complexité de la réponse politique nous interroge sur les mécanismes de symbolisations et de représentation de cette expérience terrifiante de la guerre. Nous ne pouvons qu'être surpris du décalage entre l'intense activité diplomatique et le peu d'action de cessez le feu sur le terrain. La question se pose, chaque jour plus forte, de l'action ici et là-bas.

Si Bernard-Henri Levy déclare que "La communauté internationale n'intervient jamais nulle part. Jamais. Et la Libye fut, non la règle, mais l'exception. Alors, pourquoi l'exception ne se répète-t-elle pas en Syrie? Parce que la loi du grand sommeil a repris ses droits." (Parisien 7/7/2012) n'est ce pas pour poser la question de l'individu et l'action politique face à la souffrance et à l'idée de justice ? Peut-il y avoir une guerre juste? Un conflit juste?

Quand BHL évoque le "grand sommeil" ne décrit-il pas le statu quo sur lequel trébuche l'ONU? Michel Foucault explicitait ce phénomène quand il évoquait les découvertes de la médecine à travers son histoire des sciences. Il ne s'agit pas dans l'histoire des sciences du nombre de variables disponibles ( pour notre question, du nombre d'observateurs de l'ONU et de caméra amateur) mais des représentations collectives ( symbolisations, règles sociales, culture) qui permettent de faire certains croisements et d'accéder à une nouvelle connaissance. Devons nous comprendre que ce n'est pas le manque d'information qui ne parvient pas réveiller le monde, mais une organisation collective de la pensée qui va donner accès à la création de solutions ou les bloquer ? Malgré la souffrance des corps, la peur qui contamine un pays, ne devons nous pas nous engager dans une guerre des symboles? Parce que le double mouvement qui s'engage alors dans l'instrumentation de la lutte politique exige un double mouvement, à la fois vers le récepteur mais aussi vers le producteur? Ne faut-il pas découvrir les grilles de l'autre et s'y adapter?

Placer l'analyse du conflit sur le champ du politique ne peut pas beaucoup nous aider à penser la guerre. Nous l'éprouvons chaque jour par la pénible attente d'une issue à ce conflit. Foucault nous rappelle que les possibilités de connaissance sont toujours organisées dans un état par les institutions : police, armée, administration et appareil de l'état. Ces institutions, par des moyens coercitifs puissants, instaurent les savoirs sous forme de règles incontournables qu'elles placent comme hors du temps, pour ne pouvoir être discutées. Le jeu politique, par des déplacements de sens crée de nouvelles représentations sociales qui structurent de nouveaux groupes en définissant des nouveaux critères discriminants. Ne nous faut-il pas attendre qu'au faire et à mesure des rencontres et conférences politiques sur l'avenir de la Syrie qu'une recomposition des forces offre le terrain propice à la connaissance et à l'élaboration d'une solution?

Foucault en paraphrasant Spinoza disait "Le prolétariat ne fait pas la guerre à la classe dirigeante parce qu'elle est juste. Le prolétariat fait la guerre à la classe dirigeante parce que pour la première fois dans l'histoire il veut prendre le pouvoir. Et parce qu'il veut renverser le pouvoir de la classe dirigeante, il considère que cette guerre est juste" (Citation issue du débat entre Chomsky et Foucault en 77 ). Cette lecture de l'histoire des connaissance explicite bien les raisons de ce "grand sommeil". Ainsi pour Serguei Lavrov la participation de 150 pays à cette conférence “ne permettrait pas d’avoir des discussions sérieuses sur une solution en Syrie. Après le début du processus de Genève, une réunion comme celle de Paris n’est plus utile”. Même idée relayée par la presse officielle syrienne pour laquelle Genère est un échec car le processus n’est “pas basé sur l’avis du peuple syrien”.

En attendant que s'élabore sur terrain un symbole fort, ou une combinaison politique favorable à de nouvelles perceptions de solutions possible, nous faut-il nous résoudre à attendre? Plus de 16.500 personnes ont perdu la vie depuis mars 2011: dont 11.500 civils, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.