lundi 18 juil. 2011
Il y a de cela une année, un directeur d'institution, me disait qu'il était heureux de voir "qu'on en avait fini de cette mode de l'écriture"... "et qu'on passait enfin à des problèmes organisationnels". Je me retrouvais dans la même situation, en juin 2011, alors que je participais à un débat contradictoire portant sur mon évaluation externe d'un établissement. La directrice m'annonça, tout de go, "C'est bien mignon mais j'ai des préoccupations de terrain bien plus sérieuses à gérer que de fabriquer un document de plus!"
Mes actions, durant cette année scolaire 2010-2011 m'ont fait maintes fois éprouver une réalité de terrain tout autre... une réalité qui pourrait creuser un faussé entre les exigences des dirigeants de structures et les attentes des salariés.
Demande d'agrément, formulaires qualité, pages internet retraçant l'histoire héroïque du fondateurs de l'institution, pléthores de données chiffrées sur la vie de la clinique, agréments, compte-rendus et bilans... les documents qu'une structure s'engage à produire sont nombreux et théoriquement disponibles à tous. Que penser devant les demandes des évaluateurs de tous poils à produire encore et toujours plus? Effet de mode ou réelle utilité?
Pour le dire simplement, d'un coté l'équipe de direction souhaite toujours plus travailler "à la qualité" et de l'autre " des papiers, toujours des papiers à remplir, et pendant ce temps là, on fait pas le travail" grognent les salariés. Une injonction à produire des documents lisibles et ciblés, argumentés, de hauts niveaux de diagnostiques qui créent en retour une exigence, celle d'avoir des réponses quand les arbitrages de métier se font difficiles.
Une réponse qui tarde à venir bien souvent parce qu'une collection de documents ne tient pas lieu d'élaboration sur l'activité de la structure. Il ne faut pas confondre processus et résultat. L'analyse des enjeux et des pratiques n'a pas vocation à rigidifier le travail prescrit. Les attentes des membres de la structure sont plutôt vers un inventaire des possibles, un répertoire professionnel.
C'est dans cette voie que les injonctions à produire de l'écrit se placent. Encore un fois, c'est en attaquant le métier, en ouvrant avec TOUS les professionnels la boite noir de leur activité que l'on peut sortir de ce paradoxe. Pour expliciter en quoi "on fait pas le travail", il faut comprendre avec les pros ce que c'est que "faire le boulot".
Les voies pratiques sont nombreuses : travail d'élaboration sur les objets techniques, démarches "brown paper" en groupe de recherche-action, m'ont offert cette année une loupe suffisamment puissante pour décortiquer gestes techniques et postures. Et au coeur de cela, le plus important, les arbitrages de métiers.
Etre un pro, c'est avant tout, faire des choix! A tout moment. Le geste professionnel, celui de l'infirmière, de l'éducateur, de l'AVS, de l'assistante à domicile et du directeur n'est observable que dans une infime partie. Ils sont dans une large mesure invisible à l'oeil nu. C'est en travaillant sur le détail, sur le micro, et dans l'explicitation qu'apparaît l'important à écrire, le vraiment utile aux autres et à soi-même.
Par exemple : Le moment d'administrer un placébo au malade qui ne trouve plus le sommeil ou aider un vieux monsieur à prendre sa douche ont étés cette années des moments privilégiés pour comprendre l'importance en amont, d'une élaboration commune sur les missions de la structure.
Ou s'arrête le bon bon geste? De quoi témoigner? Qu'écrire sur le cahier de liaison ? Qu'est ce qui fait sens? dans le cadre de mon service, qu'est-ce que la normalité et la pudeur? Que faire les interdits alimentaires? Notre "projet éducatif est-il pas un trop le notre et pas assez le sien? " Voila les questions auxquelles ont abandonne les travailleurs que j'ai rencontré si on ne prend pas le temps, dans l'année, de se réunir et de faire le point sur la mission de l'établissement, son histoire et ses valeurs.
Si le professionnel du lien ou du soin peut compter sur les formations théoriques, la culture de métier, l'apprentissage informel à la machine à café, la mémoire du groupe d'éducateurs, qu'est ce qui va unifier sa pratique? On peut entendre par unifier le fait de créer un pont solide entre les attentes de la personne souffrante ou handicapée et les injonctions d'efficience auxquelles le professionnel doit répondre.
Le projet d'établissement demeure un outil qui permet encore et toujours de reconnecter les éléments disparates et de rendre le pouvoir d'agir aux professionnels. Sans cela, le travail est empêché et l'institution souffre.
Bien sur, inviter des usagers, des assistantes, les stagiaires, les médecins, les administratifs pour réfléchir sur le "qu'est ce qu'on fou là" peut paraître de l'utopie quand "tout le monde se prend la tête" pour tenir les délais et rentrer chez soi bien assez fatigué...
Il faut rappeler que le travail d'écriture du projet d'établissement est un travail nécessaire avant tout pour le quotidien. C'est parce qu'on "sait ce qu'on fout là" que le travail est rendu aux professionnels de la structure.
Pour le fond, il est toujours possible de construire facilement des demi-journées d'élaboration sur un aspect du métier... pour la forme des documents, je vous propose deux lectures:
1- Tout d'abord, les travaux en ligne de l'ANESM
Dans ces travaux de l'ANESM sur le PE/PS, on trouve de quoi matérialiser durablement cette activité d'écriture et d'élaboration sur les missions.
L'ANESM conseille que dans ce travail les principales thématiques à traiter, "les incontournables" , "sachant que la pondération entre ces thématiques, l’importance relative à leur accorder dépendent essentiellement de la nature des enjeux auxquels est confronté l’établissement".
Je considère que les données que l'agence propose de fournir aux travailleurs sont les indispensables d'une activité collective "l’histoire et le projet de l’organisme gestionnaire ; ␣ les missions ; ␣ le public ; ␣ la relation avec les parents, la famille et l’entourage ; ␣ la nature de l’offre de service et son organisation ;
␣ les principes d’intervention ; ␣ les professionnels et les compétences mobilisées ; ␣ les objectifs d’évolution, de progression et de développement".
Autre point important, l'ANESM exige, "pour qu'il y ait un réel usage" la production du document sous deux formes l'un de 30 pages avec annexes, l'autre plus court reprenant "les éléments principaux et les objectifs d'évolution" ayant pour but de "mettre en exergue l'identité de l'établissement car le PE a une vocation de communication" pour " faire figurer les objectifs sous forme de fiches/actions".
2- L'ouvrage de J.-R. Loubat "Elaborer son projet d'établissement social et médicosocial."
ll constitue un guide méthodologique qui peut permettre, sinon une feuille de route, mais d'étayer une discussion avec un consultant sur les passages obligés et la qualité des documents à élaborer lors de son action de terrain.
En guise de conclusion, je souhaiterai témoigner de la réalité des bénéfices de ce travail d'écriture mis en forme par les auteurs évoqués.
Permettre aux travailleurs sociaux ou sanitaires de répondre à la question du "qu'est ce que je fous là" c'est rendre la complète mobilité à leur geste technique, qu'il soit réel ou symbolique.
Le document produit à valeur d'un repère dynamique qui permet non pas de restreindre le champ des gestes possibles mais d'en élargir la palette. Quand on prend soin du projet d'établissement, l'amélioration est presque immédiate, en quelques semaines, les pages se remplissent et l'activité des travailleurs se déploie...
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